BOIRE ET PLONGÉE
PAR LE DR JEAN YVES BERNEY, RESPONSABLE DE LA CONSULTATION
DE MÉDECINE ET THÉRAPIE HYPERBARE,
HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE
L’eau, bien sûr,
est indissociable de la plongée en tant qu’environnement extérieur
: mais nous ne devons pas oublier qu’elle est aussi une affaire
d’environnement intérieur, indispensable à notre sécurité. Pourquoi
avons-nous une forte envie d’uriner en fin de plongée ? pourquoi
recommande-t-on de boire plus que d’habitude ? Que se passe-t-il
à l’intérieur de l’organisme ? Je vous propose de répondre
à ces questions en détaillant les mécanismes et les conséquences de
l’immersion chez le plongeur qui, je l’espère, vous apporteront
un éclairage sur les recommandations en vigueur.
LES EFFETS DE L’IMMERSION
Lors de l’immersion, la pression hydrostatique exercée sur le
corps, va chasser le sang de la périphérie (les membres essentiellement)
vers le thorax qui possède un réseau vasculaire stensible. C’est
le fameux « blood shift » des anglo-saxons, que l’on peut traduire
par déplacement de sang. Et ce déplacement sanguin peut atteindre un
volume de 1 litre ! On peut comparer cela avec la fermeture des axes
secondaires sur le réseau routier : résultat, un excès de trafic sur
les routes principales et les autoroutes. Coincé alors dans les bouchons,
vous penserez peut-être que beaucoup trop de gens ont pris leur voiture
ce jour-là. En fait le nombre total de voitures est toujours le même,
mais déplacé et concentré. Idem pour votre sang au cours de l’immersion.
DES MOLÉCULES DIURÉTIQUES SONT PRODUITES
La réduction de la capacité vasculaire (notre « réseau routier ») va
causer une augmentation immédiate des pressions intra vasculaires et
intracardiaques (de l’ordre de 12 mm hg). Des récepteurs sensibles
à la pression (que l’on appelle des barorécepteurs) vont réagir
pour les corriger, et les oreillettes cardiaques vont produire une petite
molécule diurétique, appelée “peptide natriurétique” et
l’hypothalamus va réduire la production par l’hypophyse
d’une hormone antidiurétique, la vasopressine. Ces mécanismes
vont donc déclencher une diurèse, c’est à dire une production
d’urine, dite d’immersion : votre débit urinaire est alors
six fois plus important qu’en situation normale. Et cette diurèse
est encore majorée par le froid (plongées en lac, protection thermique
insuffisante).
UN DÉFICIT EN EAU INÉVITABLE
L’immersion modifie donc notablement le contenu en eau de l’organisme.
Durant et après la plongée, le plongeur présente un déficit hydrique
très marqué. Après l’immersion, avec la disparition de la pression
hydrostatique, la capacité vasculaire est dans un premier temps restaurée
et réalise un tableau de déshydratation hypo dynamique (bas débit sanguin
en raison de la déshydratation dans des vaisseaux relâchés). Pour maintenir
une pression artérielle correcte, on assiste ensuite à une vasoconstriction
intense qui va réduire à nouveau cette capacité vasculaire. Le dégazage
des gaz inertes tissulaires s’en trouve considérablement diminué,
altérant alors les vitesses de dé saturation.
UNE MICROCIRCULATION MOINS BONNE
Parallèlement le sang contenant moins d’eau, l’hématocrite
(pourcentage relatif du volume des cellules circulant dans le sang par
rapport au volume total du sang) augmente. On parle alors d’hyperviscosité
du sang, c’est à dire qu’il est moins fluide, une situation
défavorable pour la microcirculation potentiellement déjà altérée par
des microbulles circulantes. La déshydratation est donc une situation
critique en plongée et elle est bien reconnue actuellement comme le
premier facteur de risque pour développer un accident de décompression
(ADD). L’analyse des ADD dits « immérités », à savoir sans fautes
de procédure (60% des ADD) retrouve dans la majorité des cas une hydratation
insuffisante.
BOIRE SANS SOIF POUR SA SÉCURITÉ
Le comble du plongeur est donc de se retrouver déshydraté quand bien
même il est entouré de milliards de litres d’eau. Lors de la pratique
de la plongée, il devient dès lors primordial pour diminuer le risque
de présenter un ADD de s’hydrater correctement et d’éviter
tout facteur aggravant la déshydratation. Mais attention, il faut boire
avant d’avoir soif ! Chez l’enfant la sensation de soif
apparaît lorsqu’il a déjà perdu 3% de son stock hydrique, chez
l’adulte lorsqu’il en a perdu de 3 à 5%, et chez la personne
âgée de plus de 70 ans la sensation de soif apparaît alors qu’elle
a déjà perdu 5 à 7% de son stock hydrique. La soif est donc un mécanisme
apparaissant tardivement, il ne faut donc pas s’y fier pour juger
de son état d’hydratation. Comme disait le capitaine haddock ®,
il est recommandé d’être un boit-sans-soif !
MAIS UNIQUEMENT DE L’EAU
La diurèse d’immersion va créer un déficit en eau d’environ
un litre à chaque plongée. Mais la compensation doit se faire avec des
boissons non diurétiques ! L’hydratation est efficace uniquement
si l’on boit de l’eau. Café, thé, tisanes, sodas sont à
proscrire car le bilan hydrique sera nul (ce qui entre est égal à ce
qui sort). L’alcool, puissant diurétique, va induire un bilan
négatif, aggravant la déshydratation. En pratique dans l’heure
qui suivra la plongée, l’idéal est de boire un litre d’eau
minimum (plate, minérale ou non). On mangera également des aliments
riches en eau (laitages, fruits, légumes), en sodium et en potassium
(bananes)..
S’HYDRATER APRÈS MAIS AUSSI AVANT
Il faut aussi démarrer sa plongée en étant à la base bien hydraté. Une
étude publiée en 2009 (GEMPP & coll. BMSH 2009, vol 19, no 1)
a démontré un effet bénéfique d’un pré hydratation de plus d’un
litre sur le nombre de bulles circulantes. Le plongeur peut même s’hydrater
durant la plongée grâce à des systèmes adaptés, mais plutôt réservés
à la plongée Tech. Certains plongeurs évitent de boire pour ne pas ressentir
le fort besoin d’uriner lors de la 2ème moitié de la plongée,
c’est une grave erreur.
L’ALCOOL RESTE L’ENNEMI NUMÉRO 1
Puissant diurétique, l’alcool reste l’ennemi numéro 1. Il
aggrave en plus le risque de présenter une narcose des profondeurs.
La consommation d’alcool devra être modérée, uniquement le soir
et interrompue 8 heures avant toute plongée. Attention donc aux soirées
arrosées suivies par des plongées le lendemain à 6h00 du matin. La pratique
d’un exercice physique durant les 2 heures suivant la plongée
est proscrite, car elle contribue à la déshydratation. les besoins en
eau d’environ 2-3 litres quotidiens (boissons et aliments compris)
en situation normale, augmenteront également jusqu’à 4-5 litres
selon les conditions climatiques du lieu de plongée (soleil, vent).
La gratuité de l’eau lors des croisières ou safaris plongée est
un excellent incitatif à une bonne hydratation. L’exposition au
soleil après la plongée va dans le même sens. Le respect d’un
intervalle de surface suffisant lors de plongées successives permet
également à l’organisme de récupérer, et de corriger les déficits
en eau de la plongée précédente. En résumé, eau, ombre, repos et bon
intervalle de surface sont ainsi les meilleurs alliés du plongeur pour
lutter contre la déshydratation inhérente à la pratique de son activité,
facteur de risque majeur pour développer un ADD.
Pour plonger il faut avoir de la bouteille…
Page mise à jour le
28 avril 2024
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